Carnet de voyage
Au Révérend M. Nelson, à Hilborough.
Agamemnon, Livourne, 27 décembre 1793.Mon Cher Frère,
Quand j'ai écrit quelques mots à Maurice par le dernier courrier, l'évacuation de Toulon était déjà connue; la nouvelle a du probablement vous parvenir. Le fait pour l'Angleterre de s'être débarrassée d'une telle place est un événement des plus heureux. Notre argent aurait disparu très rapidement. L'Etat-Major seul, nommé d'Angleterre était suffisant pour l'Irlande et pour d'autres places ; les postes en étaient comblés aussi vite que les chevaux pouvaient conduire les titulaires à travers le continent ou que l'on pouvait trouver des navires pour les amener à Toulon. Voici en détail comment cela s'est passé. Le 13, une très nombreuse armée couvrait les collines avoisinantes; Lord Hood avait averti les habitants que l'on évacuerait probablement la place. Le 17, à huit heures du soir, une attaque générale eut lieu contre nos avant-postes et elle dura toute la nuit; les troupes étrangères cédèrent bien plus tôt qu'elles n'auraient dû le faire et les autres, le lendemain matin, furent obligées d'abandonner leurs postes en détruisant toutefois les ouvrages et en enclouant les canons aussi bien qu'elles en eurent le temps. Lord Hood essaya, mais en vain, de rallier les fuyards; notre armée se retira dans la ville et au fort La Malgue. Le 18, les troupes napolitaines reçurent l'ordre de s'embarquer ainsi que les Royalistes, sur tous les navires que l'ou put trouver. Alors commença une scène d'horreur que l'on peut concevoir, mais que l'on ne saurait décrire. La populace se souleva; la mort appela tous ses myrmidons qui détruisirent les malheureux habitants par l'épée, le pistolet, le feu et l'eau. Il y a eu, dit-on, des milliers de victimes. Au milieu de cette scène épouvantable et pour compléter les calamités déjà à leur comble, tord Hood fut obligé de faire mettre le feu à la flotte française, forte de vingt vaisseaux de ligne et de vingt autres navires de guerre, ainsi qu'à l'arsenal, aux magasins à poudre etc. La moitié de la ville a, parait-il, brûlé avec eux. On n'a sauvé de la flotte française que trois vaisseaux dont un da premier rang, un de 80 et un de 74 et deux frégates ; tous les forts ont sauté et l'on nous a affirmé que Lord Hood a mis à la voile pour la baie d'Hyères. Les pères sont ici sans familles et les familles sans pères, tableaux d'horreur et de désespoir. L'Agamemnon se trouve dans ce port pour des approvisionnements, mais il est en station avec une escadre en vue de la Corse.
Josias est bien et désire être rappelé à votre bon souvenir. Veuillez ne pas m'oublier auprès de Mme Nelson et de ma tante. J'espère les voir bientôt, car cette guerre ne peut pas durer longtemps.
Hoste est vraiment un très bon garçon, ainsi que Bolton. Compliments à Swaffham et croyez-moi votre affectionné frère.HORATIO NELSON.