Carnet de voyage
DARJEELING ET L'HIMALAYA
… Il est quatre heures de l’après-midi et nous filons à toute vapeur dans la direction du nord; Calcutta disparaît déjà dans le lointain et le soleil s’incline de plus en plus, n’éclairant déjà que la cime des grands palmiers au milieu desquels la voie passe. Puis, c’est la nuit qui tombe, rapide, tandis que du sol s’élève une buée épaisse que traverse à peine la lueur indécise des feux du voisinage. Nous stoppons, c’est le Gange. Ce fleuve, très bas, laisse à découvert une longue berge sablonneuse que nous traversons pour atteindre l’extrémité d’un appontement où nous attend un petit steamer. Au milieu des cris des coolies, du va et vient des bagages, nous embarquons et nous voilà autour d’une table, commentant les débuts du voyage, nous remémorant les fâcheux pronostics sur le temps et le désenchantement de tous nos frères en globe-trotting de retour de Darjeeling.
N’y allez pas, nous a t-on dit de toutes parts, vous en aurez pour deux fois 24 heures de chemin de fer, 36 heures de brouillard et vous ne verrez pas l’Himalaya… Vous aurez, il est vrai, l’occasion de prendre une bonne fluxion de poitrine et vous passerez la majeur partie de votre temps à fouiller dans votre valise pour y chercher en vain le pardessus d’hiver que vous auriez dû emporter et que vous avez bel et bien oublié… N’allez pas à Darjeeling !
Mais aller aux Indes sans voir l’Himalaya, ce serait pécher contre les lois qui jusqu’ici ont régi le parfait touriste et c’est pour cela que nous voilà, ce soir, décidés à contempler l’Everest, à interviewer des Tibétains, voire même à braver le plus terrible coryza. Du reste nous avons foi dans notre étoile et l’un de nos compagnons, accoudé au bastingage, s’imagine déjà, nouveau Christophe Colomb, voir briller au milieu des étoiles le sommet étincelant de la montage blanche.