Carnet de voyage
Paris, 6 juillet - Le colonel Lawrence ne serait pas mort. D’audacieuses rumeurs se répandent à propos de Mme Shaw, l’étrange passagère de l’ « Atenor », ce navire qui toucha quelques heures à peine le port de Marseille et repartit bientôt pour l’Angleterre. Personne n’a vu Mme Shaw. Elle a reçu un fort volumineux courrier et les reporters qui désiraient savor si elle la mère de Lawrence en furent pour leurs frais. On se demande si la passagère n’était pas Lawrence lui-même. Cette hypothèse est singulièrement étayée par les incidents actuels en Ethiopie. Ceux qui ont connu les méthodes employées par l’Intelligence britannique contre l’influence française en Palestine estiment que l’Italie se heurte aux mêmes procédés. L’ombre de Lawrence plane sur l’Éthiopie. Personne n’a vu mourir le colonel Lawrence. Personne ne l’a vu agonisant hormis trois ou quatre agents de l’Intelligence service. Tout est étrange dans cette mort. C’est le lundi 12 mai 1935 qu’un motocycliste fit une chute grave dans le sud de l’Angleterre. Deux jours après les journaux anglais annoncèrent que le motocycliste portait sur lui des papiers au nom de Shaw mais qu’il s’agissait en réalité du colonel Lawrence. Pendant l’agonie de Shaw-Lawrence les autorités gardèrent le silence sur l’état du malade. Le 19 mai, les journaux annoncèrent la mort de Lawrence. On avait fort bien choisi le blessé et des indications officielles disaient que « s’il eût survécu, le blessé, dont le cerveau était littéralement écrasé, n’eût pas retrouvé l’usage de la parole et eût perdu la majeur partie du sens de la vue ». La mise en bière fut faite à l’hôpital, dans une chambre gardée par des fonctionnaires baïonnettes au canon. Les obsèques du colonel furent extrêmement simples. Et enfin, pourquoi enterrer le colonel sous le nom de Shaw, s’il était réellement mort. Aucun des membres de la famille de Lawrence qui est composée de la mère et de deux frères, dont l’un assista aux obsèques, et dont l’autre est en Chine, ne porte le deuil du colonel. Ces arguments forment un faisceau singulièrement impressionnant. L’hypothèse d’une substitution de personne est tout à fait plausible. Et voici qu’un des matelots de l’ « Antenor » qui ayant jadis rencontré Lawrence prétend que « Mme Shaw », la passagère de l’ « Antenor » ressemble étrangement au « défunt » colonel. Coïncidence troublante : « Mme Shaw » est montée à Djibouti venant d’Abyssine, où les femmes voyagent rarement seules en touristes et plus particulièrement en ce moment. Bientôt peut-être l’affaire d’Éthiopie va prendre une tournure extrêmement dangereuse : parions que nous entendrons encore parler du colonel Lawrence, mort ou vif.