Carnet de voyage
Rapport Général. Paris, le 5 mai 1890
À Monsieur Achille Monchicourt, liquidateur de la Compagnie universelle du Canal Interocéanique de Panama.
Monsieur le liquidateur,
La commission instituée par votre prédécesseur, M.Joseph Brunet, pour l’éclairer sur la situation du Canal Interocéanique de Panama, a terminé ses travaux et vous trouverez ci-joint un rapport d’ensemble dans lequel sont groupés les faits principaux qui se dégagent de cette étude. (…)Réunie vers le milieu du mois d’octobre 1889, elle a, tout en prenant connaissance des documents remis par la Liquidation, recueilli des dépositions d’un grand nombre de personnes qui avaient coopéré aux travaux, soit comme ingénieurs, soit comme entrepreneurs ou agents d’exécution, soit même comme conseillers. Elle a, en outre, entendu les promoteurs de l’oeuvre ainsi que les auteurs du projet pour l’achèvement du Canal.
Ces premiers renseignements mis en ordre, elle a confié à une délégation choisie dans son sein, le soin de les vérifier et de les compléter sur les lieux mêmes, pendant que les membres restés à Paris poursuivraient leurs études techniques et statistiques, tout en continuant à entendre ceux qui leur offraient leur concours. Cette délégation était composée de MM. Germain, président; Chaper, Cousin, du Chatenet et Lagout.
Partie le 9 décembre 1889, la Délégation est rentrée à Paris le 4 mars 1890, après avoir passé six semaines dans l’Isthme. Elle a visité attentivement les chantiers, vérifié par épreuves l’état du matériel, dont plusieurs machines ont fonctionné en sa présence, elle a examiné les ateliers, logements et autres établissements fixes, elle a même fait lever sous ses yeux un certain nombre de profils, à titre de vérification. La constitution géologique du sol, la recherche des matériaux de construction, les prix à appliquer à chaque nature d’ouvrage, les débouquements dans l’Atlantique et dans le Pacifique, le régime du Rio Chagres et des autres cours d’eau ont été, de la part de la Délégation, l’objet d’investigations aussi pénibles que consciencieuses, et elle a rapporté des documents du plus haut intérêt.
C’est sur ces données que la Commission a pu indiquer les lignes générales du projet qui, à son avis, répondrait le mieux aux exigences d’une situation que le temps écoulé et les précédents rendent critique. Elle en a même évalué le prix, mais elle croit devoir ajouter que la nouvelle Société qui se formera, devra, si elle adopte les mêmes lignes générales, compléter les études techniques qui sont loin d’offrir la précision nécessaire à un projet définitif. (…)
Les appréciations de la Commission sont loin d’être concordantes avec l’avenir primitivement rêvé, elles sont même de nature à jeter un certain découragement chez ceux qui, sur la foi de promesses vagues, avaient espéré, avec un sacrifice momentané, rendre sa valeur à peu près entière à leur capital déprécié. La Commission le reconnaît, mais elle a été chargée de vous renseigner sur ce qu’elle estime être la vérité, et elle ne saurait hésiter à remplir ce devoir.
Veuillez agréer, monsieur le Liquidateur, l’expression de ma considération la plus distinguée,
Le Président de la Commission, Guillemain